Dessiner encore

Coco

Les Arènes

  • Conseillé par (Libraire)
    18 mars 2021

    Magistral !

    « Dessiner encore », dessiner encore. Il y’a du Bernard Lavilliers dans cette injonction, comme dans celle qu’il chante à l’égard des sidérurgistes menacés de chômage. « Travailler encore », « Dessiner encore », travailler, dessiner, agir, s’occuper, faire ce que l’on sait faire, ce pour quoi on est né: pour ne pas sombrer, couler, être submergé par la vague du chômage ou de la mort. Comme Catherine Meurisse notamment, sortie de l’horreur par la quête de la beauté, Coco ne peut s’extraire du traumatisme subi que par ses crayons. C’est justement le crayon de Boucq qui nous avait envoyé la dernière image de la dessinatrice dans le remarquable ouvrage « Janvier 2015. Le procès ». Il avait saisi Coco refaisant, à l’audience du 8 septembre 2020, ses gestes du 7 janvier 2015, cette mise à genoux, mains sur la tête, tête penchée vers le sol. Alors il fallait revivre cette journée, recommencer, redire, et même redessiner ces moments où tout bascule à jamais. Devant le tribunal, comme dans cet ouvrage. Raconter le départ précipité de la rédaction pour aller à la crèche, revoir ces deux ombres, deux linceuls noirs qui vous menacent, refaire ce code qui va ouvrir la porte du journal aux silhouettes noires armées, pour enfin pouvoir extraire ce traumatisme indicible lorsque « la mort est là. Tout près ».

    Quand Riss ou Philippe Lançon firent appel aux mots, Coco, après Luz et Catherine Meurisse, appose à ces phrases, des dessins, des couleurs sur la feuille blanche pour raconter.
    Il y’a les dessins narratifs, ceux qui disent l’histoire des attentats, leur origine, les procédures judiciaires, les lâchetés d’une partie du monde médiatique, journalistique, politique. Coco, de son statut d’abord de pigiste, puis de membre de la rédaction, pose son regard d’incompréhension sur ces « Oui. Mais… », ces accusations « d’ajouter de l’huile sur le feu », comme si il y’avait des moments pour la liberté, parfois, souvent, mais pas tout le temps. Elle se dessine alors avec des yeux ronds, surpris, figés devant ce qu’elle ne peut comprendre.

    En bonne chroniqueuse, on revit avec elle le 11 janvier, la création du numéro « des survivants » mais on la suit encore avec plus de passion lorsqu’elle exprime son mal être, sa souffrance, se détachant de l’histoire du journal et de la relation des évènements, pour se raconter elle.

    « Je me lève 7, je vis 7, je mange 7, je dors … pas ».

    Pour beaucoup, le dessin de Coco est un dessin de crobard, ces croquis rapidement saisis qui racontent en quelques traits brefs, sommaires, mais efficaces l’humour, l’actualité et surtout les dixièmes de seconde essentiels de la vie. Avec « Dessiner encore », on découvre l’immense talent de la dessinatrice, sa capacité à mettre des dessins sur des états d’âme, à multiplier les techniques de mise en page pour dire et montrer. Le dessin permet d’utiliser la métaphore et c’est lui qui nous fait nous envoler avec Coco sur un bel oiseau, tenter de s’accrocher à ses ailes, se tenir debout sur son dos, avant de chuter. Plus tard, comme dans les cases d’un échiquier mortel, aux carrés rouges et noirs, on imagine toutes les situations, à l’entrée de la salle de rédaction, le 7 janvier: « Et si je », « Et si ». Autant de cases comme autant de possibilités de jouer entre la vie et la mort. Mais un jeu inutile car les jeux sont faits. Les Kalachnikov sont plus fortes que les tours ou les rois. Les dessins sont sombres mais jamais opaques, jamais totalement noirs. C’est l’obscurité plutôt qui domine, celle qui trace des méandres, des fils de soie, sous nos paupières quand nous fermons les yeux.

    Puisque il faut bien continuer à vivre et tenter « d’aller chercher le trauma », de l’extraire, la couleur se révèle nécessaire. Elle prend presque toujours la lumière de la campagne, du vert des arbres en fleurs, de l’ocre de l’automne, de la nature derrière les carreaux d’une fenêtre omniprésente, ouverture vers l’extérieur, vers le monde du dehors. La couleur comme symbole de ce qu’un spécialiste appelle un « endroit refuge », un endroit protecteur, quand la souffrance devient trop grande. Et puis il y’a le bleu, le bleu de la couverture, le bleu de la pochette qui contient les documents d’aide aux victimes, le bleu comme une bulle de vie dans le marron de la souffrance. Et le bleu de la mer, celle que Coco dessine comme la vague d’Hokusai, porteuse de colliers de perles d’eau, blanches, étincelantes. C’est une vague qui flue et reflue, qui enfonce, engloutit et relève, redresse la dessinatrice brinquebalée au fil de ses états d’âme. Mais l’eau porte, supporte nos corps au dessus des ombres des linceuls noirs qui coulent inexorablement vers le néant. Il faut bien vivre.

    Alors « dessiner encore »? La réponse, Coco, vous l’apportez vous même: « Je lutte. Je veux dessiner encore. Que suis-je? Illégitime ou nécessaire ?Arrête de te torturer. Tais toi et dessine ».
    Dessinez Coco. Encore et toujours.

    Eric


  • Conseillé par (Libraire)
    12 mars 2021

    VIBRANT ET EMOUVANT

    « Dessiner encore », dessiner encore. Il y’a du Bernard Lavilliers dans cette injonction, comme dans celle qu’il chante à l’égard des sidérurgistes menacés de chômage. « Travailler encore », « Dessiner encore », travailler, dessiner, agir, s’occuper, faire ce que l’on sait faire, ce pour quoi on est né: pour ne pas sombrer, couler, être submergé par la vague du chômage ou de la mort. Comme Catherine Meurisse notamment, sortie de l’horreur par la quête de la beauté , Coco ne peut s’extraire du traumatisme subi que par ses crayons. C’est justement le crayon de Boucq qui nous avait envoyé la dernière image de la dessinatrice dans le remarquable ouvrage « Janvier 2015. Le procès » (1). Il avait saisi Coco refaisant, à l’audience du 8 septembre 2020, ses gestes du 7 janvier 2015, cette mise à genoux, mains sur la tête, tête penchée vers le sol. Alors il fallait revivre cette journée, recommencer, redire, et même redessiner ces moments où tout bascule à jamais. Devant le tribunal, comme dans cet ouvrage. Raconter le départ précipité de la rédaction pour aller à la crèche, revoir ces deux ombres, deux linceuls noirs qui vous menacent, refaire ce code qui va ouvrir la porte du journal aux silhouettes noires armées, pour enfin pouvoir extraire ce traumatisme indicible lorsque « la mort est là. Tout près ».
    Quand Riss ou Philippe Lançon firent appel aux mots, Coco, après Luz et Catherine Meurisse, appose à ces phrases, des dessins, des couleurs sur la feuille blanche pour raconter.
    Il y’a les dessins narratifs, ceux qui disent l’histoire des attentats, leur origine, les procédures judiciaires, les lâchetés d’une partie du monde médiatique, journalistique, politique. Coco, de son statut d’abord de pigiste, puis de membre de la rédaction, pose son regard d’incompréhension sur ces « Oui. Mais… », ces accusations « d’ajouter de l’huile sur le feu », comme si il y’avait des moments pour la liberté, parfois, souvent, mais pas tout le temps. Elle se dessine alors avec des yeux ronds, surpris, figés devant ce qu’elle ne peut comprendre.

    En bonne chroniqueuse, on revit avec elle le 11 janvier, la création du numéro « des survivants » mais on la suit encore avec plus de passion lorsqu’elle exprime son mal être, sa souffrance, se détachant de l’histoire du journal et de la relation des évènements, pour se raconter elle.

    « Je me lève 7, je vis 7, je mange 7, je dors … pas ».

    Pour beaucoup, le dessin de Coco est un dessin de crobard, ces croquis rapidement saisis qui racontent en quelques traits brefs, sommaires, mais efficaces l’humour, l’actualité et surtout les dixièmes de seconde essentiels de la vie. Avec « Dessiner encore », on découvre l’immense talent de la dessinatrice, sa capacité à mettre des dessins sur des états d’âme, à multiplier les techniques de mise en page pour dire et montrer. Le dessin permet d’utiliser la métaphore et c’est lui qui nous fait nous envoler avec Coco sur un bel oiseau, tenter de s’accrocher à ses ailes, se tenir debout sur son dos, avant de chuter. Plus tard, comme dans les cases d’un échiquier mortel, aux carrés rouges et noirs, on imagine toutes les situations, à l’entrée de la salle de rédaction, le 7 janvier: « Et si je », « Et si ». Autant de cases comme autant de possibilités de jouer entre la vie et la mort. Mais un jeu inutile car les jeux sont faits. Les Kalachnikov sont plus fortes que les tours ou les rois. Les dessins sont sombres mais jamais opaques, jamais totalement noirs. C’est l’obscurité plutôt qui domine, celle qui trace des méandres, des fils de soie, sous nos paupières quand nous fermons les yeux.

    Puisque il faut bien continuer à vivre et tenter « d’aller chercher le trauma », de l’extraire, la couleur se révèle nécessaire. Elle prend presque toujours la lumière de la campagne, du vert des arbres en fleurs, de l’ocre de l’automne, de la nature derrière les carreaux d’une fenêtre omniprésente, ouverture vers l’extérieur, vers le monde du dehors. La couleur comme symbole de ce qu’un spécialiste appelle un « endroit refuge », un endroit protecteur, quand la souffrance devient trop grande. Et puis il y’a le bleu, le bleu de la couverture, le bleu de la pochette qui contient les documents d’aide aux victimes, le bleu comme une bulle de vie dans le marron de la souffrance. Et le bleu de la mer, celle que Coco dessine comme la vague d’Hokusai, porteuse de colliers de perles d’eau, blanches, étincelantes. C’est une vague qui flue et reflue, qui enfonce, engloutit et relève, redresse la dessinatrice brinquebalée au fil de ses états d’âme. Mais l’eau porte, supporte nos corps au dessus des ombres des linceuls noirs qui coulent inexorablement vers le néant. Il faut bien vivre.