Le Monde sans vous

Sylvie Germain

Albin Michel

  • Conseillé par
    3 mai 2011

    Le monde sans vous de Sylvie Germain

    Dans "Le Monde sans vous", Sylvie Germain réunit deux textes à la mémoire de ses parents disparus. Elle ne cherche pas, dit-elle, à édifier un mausolée à la manière de Mallarmé écrivant pour les Grands, écrivains ou artistes disparus. Rien de spectaculaire ici mais "des mots, de simples mots sans prétention, moins pour chercher à bâtir de superbes tombeaux que pour tenter d'ouvrir en grand les tombeaux vides, et de les maintenir tels."

    Les "Variations sibériennes" sont dédiées à sa mère qui vient de mourir. Sylvie Germain, au cours d'un long voyage dans le Transsibérien, écrit au rythme de ce paysage qui défile devant elle dans un mouvement perpétuel : "Sombre et grasse est la terre. Tchernoziom. Noirs et luisants sont les sentiers de boue entrevus en bordure des forêts. Bruns et gris les roches qui affleurent, les cailloux et les graviers des talus. Brun, violâtre, les arbustes naufragés de l'hiver, et bronze clair, les chardons et les joncs desséchés. Mais d'un blanc étincelant, marbré d'écorchures noires, défilent les bouleaux."

    Et cette symphonie d'images et de couleurs convoque une image inversée de la mère, un peu comme le négatif d'une photographie : "Sibérie : un pays où tu n'es jamais allée, ma mère, et qui n'éveillait aucun désir en toi. (...) Tu aimais le midi et ton coeur était couleur de Méditerranée."
    La voix des grands poètes se mêlent à la sienne comme une incantation pour célébrer la disparue : Ossip Mandelstam, Arseni Tarkovski, Boris Pasternak, Blaise Cendrars... "Ma mère, tu n'étais pas poète, et ta main n'était pas celle d'un merle blanc. Tu étais une vivante et tu étais ma mère. Cela constitue déjà une ample prose, et c'est par voie de prose que je m'adresse à toi"
    "Variations sibériennes" est un texte à savourer par petites gorgées pour mieux goûter certains passages, magnifiques, et se laisser gagner par l'émotion. Pour dire la beauté de cette nouvelle prose du transsibérien -après celle de Cendrars- il faut se taire! Lire, revenir en arrière, repartir. Il faut se laisser envahir par ce style poétique, par la beauté des mots et des paysages de ce "pays du Nord, du froid, de la vie, de l'infertilité. Terre de l'en-deçà et de l'au-delà de la vie" "Sibérie la dormeuse -la veilleuse aux innombrables yeux d'eau, d'écorce et de lichen." Nous vivons avec la voyageuse, l'étendue, la vastitude, la profondeur de cette terre qui dort, de ce pays où le vent est "maître de l'espace en extension, maître du Vide, seigneur du Rien". Le Transsibérien nous entraîne toujours plus loin là où le train achève sa course : Vladivastok, un nom superbe, signifiant "le Possesseur, le Souverain de l'Est" . Ainsi semblable à la petite Jehanne de France en route avec Blaise Cendrars, la mère , la petite Henriette de France, accompagne sa fille et part vers un lointain bien plus loin même que la Sibérie : "Tu es, tu vas dans l'absolu du Loin.Tu t'éloignes de ta fin, et c'est un commencement."

    Dans le deuxième texte très court "Kaléidoscope ou notules en marge du père", Sylvie Germain va tenter de reconstituer l'image fondatrice, celle du père. Mais cette image est mouvante, fragmentée, jamais achevée, belle pourtant. Elle semble faite de "poussières d'étoiles", de petits éclats de rien ou de tout glanés de ci de là, dans une fresque de Piero della Francesca, dans "l'or qui tremble au coeur des roses" que cultivaient le père mais aussi le père de son père, dans ce terrain en jachère au-dessus de la basilique de Vézelay, dans le Saint Christophe d'un peintre ardennais... "Kaléidoscope: la beauté d'une image regardée sous l'angle le plus aigu, le plus abscons, sous l'éclairage le plus impondérable : le Père à l'Enfant. Mon père."


  • Conseillé par
    8 avril 2011

    Comment vous parler de ce livre ? Il s’agit d’un des plus beaux hommages qu’il m’ait été permis de lire. L’année dernière, Sylvie Germain a voyagé à bord du transsbérien. Un voyage à travers la Sibérie qui l’a mené jusqu’ Vladivostok. Imprégnée par cette nature, ces terres porteuses d’un passé, variation sibériennes a vu le jour. Premier récit intimiste d’une alchimie rare où elle convie des poètes comme Pasternak , Cendrars ou Madestalm et les esprits qui dorment dans cette terre. Et il s’agit d’une apothéose des mots qui se marie à l’histoire d’une terre, d’un pays. De ce texte où elle parle de sa mère avec sensibilité, l’émotion, la pudeur perle entre chaque ligne.

    Eblouie, j’ai lu, j’ai contemplé et je me suis abreuvée de récit respectueux. Respect des morts qui gisent dans ces terres, célébrations de ces peuples disparus et de leurs croyances et de l'hommage porté à sa mère. Tout simplement époustouflant. Dans le second récit Kaléidoscope , elle nous parle de son père. Un homme passionné par les mots, par leur grâce. Fils et petit fils d’horticulteurs des hommes au service de la beauté de la rose. Et ce sont autant de mots qui s’ancrent, distillent toute leur magnificence..

    Je fais court car la magie et puissance de ce livre sont uniques. A chacun de les apprécier comme il se doit. Le souffle coupé, je remercie Sylvie Germain de m’avoir fait autant vibrer par la beauté de ce livre. Et surtout ne me secouez pas, je suis remplie d’émotions et de larmes…